samedi 16 novembre 2013

La vie d'Adèle

Si je dis d'Elle - Adèle - oh ! l'insolence, en sens propre et figuré, c'est qu'il n'est pas de lumière aussi violente ni d'être autant solaire, auxquels je me fus exposé comme aux rayons que lance sa présence.
Car la révolution, c'est Elle : Adèle Exarchopoulos.
Non, ce n'est pas la fille de l'ennemi de Tintin, ni l’héroïne de Jacques Tardi (quoique un blanc-sec est souvent suggéré dans l'émission), non, c'est celle d'un certain Abdellatif Kechiche qui lui a consacré une saga de trois heures à laquelle il a sacrifié ce titre éponyme. Et quelle incarnation ! Car Adèle - on ne sait plus trop si c'est le rôle ou l'actrice - est tout en chair, en vibrations et substance, ondulante au gré des musiques, sublimée par la caméra de l'auteur, pareille à ces modèles de tableaux classiques dont elle reprend insubrepticement les poses.
Comment ne pas reprendre pour soi la force de ses passions ? Comment ne pas s'identifier à Adèle ? Qu'importent les genres et les sexualités : c'est de la virulence des gentils poisons de l'amour dont il est ici question ; c'est de ce qui coule, de ce qui mouche, de ce qui brûle et qui nous envole, un infini fini dans la coquille d'une ou d'un seul autre, dont il est ici question, c'est de cette marque ignée que nous laisse à tous la morsure  absolument confondante de notre aliénation physique, dont il est question.
Alors, comment Kechiche aurait-il pu l'évoquer sans la crudité de scènes saphiques ? Comment aurait-il pu traiter LA question sans asséner au bourgeois le matraquage de corps féminins sublimés par le désir, et qui pourtant n'en génère nullement, tant il est impossible en ces instants incandescents de discerner un sexe ? Comment aurait-il pu s'éviter de flirter, sans pour autant jamais l'effleurer, avec la pornographie ? On ne convainc pas de l'universalité du rapport amoureux en évoquant les roses et les choux... La question clé de notre assujettissement réside en notre dépendance aux affects érotiques, aux courbes, aux ruptures des symétries qu'il est possible d'établir entre deux corps humains.
Dès lors, j'ai souffert comme Adèle, reconnu des affres qui furent les miens, et finalement vibré tout au long de ce gigantesque « jeu de l'oie », l'accompagnant à chaque coup de dé, du sort, à chaque trahison larvée, petitesse abstruse ou traîtrise instillée, saisissant les secondes de sa vie l'une après l'autre, de son adulescence un peu rimbaldienne (ses dix-sept ans) à sa déperdition dans l'age de raison, ombragée par le piège de cette femme aux cheveux bleus – femme piège à la Bilal impeccablement tenue par Léa Seydoux – dont le statut d'artiste contribue à nourrir l'interrogation du vampirisme inhérent à cette classe.
La polémique entre l'auteur et ses actrices, n'est finalement qu'au cœur de ceci, justifiant de l'esthétique et de l'intelligence parfaite de cette œuvre entièrement sertie dans le sourire et ce soulèvement léger de la lèvre supérieure d'Adèle.



Blue Jasmine

Blue Jasmine (à voir si possible en VOST) est une divine tranche de comédie humaine idéalement mise en scène par le maître de l'art - il le confirme ici - qu'est Woody Allen ; ce n'est pas aux vieux cinéastes qu'on apprend à faire des gris masques !
Car dans cet enfin-on-l'attendait-depuis-tant-de-temps chef-d'oeuvre du magicien juif new-yorkais, tout n'est finalement qu'une histoire de masques et de contre-pieds, c'est à dire d'instruments spécifiquement propres à la comédie et remarquablement utilisés.
C'est l'écriture, à l'image d'une construction balzacienne transposée dans l'antithèse forcée du trait entre New-York et la Cité des Anges, qui rend ce miracle possible : tissu couturé de flash-back orchestrés savamment, causalement et non chronologiquement, merveilleux labyrinthes où l'on se perd avec les acteurs et les faiblesses humaines qu'ils endossent. Et là ! Là, s'ils sont tous diablement bons (notamment l'odieux Alec Baldwin dans un sulfureux rôle de gros comedy-maker pourri), on trouve comme un diamant dans son écrin, la quintessence du miracle : Jeanette alias Jasmine alias Cate Blanchett. Elle est tellement juste et tellement évidente, qu'on en vient à douter qu'elle joue le rôle de cette brillante bourgeoise déchue. Sincèrement, j'en doute ; il me semble qu'elle s'est laissée aller à me rendre témoin de sa dépression, de ses délires, de sa classe éclaboussée, mais également de cette ineffable beauté qui fait d'elle un oiseau bien inadapté dans l'art de ramper.
Quoiqu'il en soit, cette pauvre Jasmine bleue n'a pas fini de me faire cogiter à cette ineffable beauté résidant dans notre plus profonde humanité.