vendredi 16 juin 2017

Ce qui nous lie

S'il fallait ne se fier qu'à leur bande-annonce, on n'aurait pas de surprise avec les films auxquels on s'adonne, en bien non plus qu'en mal... Et pourtant, lorsqu'un madré réalisateur entreprend de ne pas y "spoiler" (je peux, c'est rentré dans le Larousse) une seule de ses scènes admirables, il faut reconnaître alors à la surprise une opportunité miraculeuse. Et quand on peut se le permettre, au fait qu'on s'appelle Klapisch, et qu'on sait que de toute façon sur votre nom, tout le monde ou presque ira voir votre film, alors on peut faire agir à nouveau la magie du Cinéma.
Certes, ce film, un treizième opus à l'œuvre où je comptais jusqu'alors une parfaite intégrale (en bon mathématicien) vient me commander de compléter ma DVD-thèque, et j'aurais pu mal le prendre... Il s'en serait agi si du moins ce dit opus ne m'avait totalement tourneboulé.
Je vais aller le revoir, or il me semble en fait que c'est le plus beau film de Klapisch ! Il y débarque avec une nouvelle équipe d'acteurs : Pio Marmaï que j'aimais déjà beaucoup dans les rôles où je l'avais découvert, une extraordinaire Ana Girardot (la fille d'Hippolyte et d'Isabel Otero ; ben elle a de qui tenir !), un p'tit jeune que j'connaissais pas, François Civil, et qui m'a vach'ment impressionné dans sa capacité de jouer l'introverti. Ça c'est la fratrie ! Ajoutez deux belles inconnues : Yamée Couture, une rousse incendiaire accouplée au dernier nommé (la fille de Charlélie, tout aussi bien nommée), puis Maria Valverde — splendeur ibère oubliée du lamentable "Exodus", mais compagne énigmatique au beau Pio qu'on lui colle — on sent la relève "en marche" en son équipe aussi.
C'est quoi un beau film ?
On a tous des définitions différentes à ce sujet. Je vous livre donc la mienne : un beau film c'est ce qui me fait passer par toutes les émotions, ce qui me fait rire et sourire, et vibrer, laisser les yeux s'humidifier (parce qu'un mec ça pleure pas, un vrai mec !) et repartir à la gravité comme on se livre à la légèreté. Le plus beau film ? Il est celui qui colle à ce point à la vie que la nôtre y rentre. Un beau film ? On ne se rend compte en vérité qu'un peu plus tard à quel point c'est un chef-d'œuvre.
Un bon film a le bon tempo, celui des saisons qui passent en Bourgogne, avec le rythme du cœur et ses trépidations aussi...
Ce n'est pas par hasard que le sang de la Terre a la couleur du nôtre, et que les pulsations du vin sont le reflet de nos désirs et de nos déceptions, qu'elles fussent amoureuses ou familiales.
Et pourtant, comme l'écrivait Hugo Pratt, "le cœur est un muscle qui pompe du sang, pas des sentiments..." Là où Klapisch est génial, c'est dans sa façon de tourner nos vies sur le vrai prétexte auquel on cède : à quoi bon ?
À quoi bon la famille ? À quoi bon faire un enfant ? À quoi bon s'aimer aussi dans ces liens du sang ? Ce qui nous lie ? Ce qui nous lie c'est aliénant !
Klapisch : "Ce qui nous lie, c'est le fardeau qu'il nous faut porter..."
Jésus : "ne fais pas porter à l'autre un fardeau que tu ne pourrais supporter..."
Je ne m'avance pas trop lorsque je dis que ce treizième arrondissement, fait de chinoiseries, c'est son plus beau film.
En prenant le prétexte infiniment poncif où la vendange est l'acte idéalement documentaire où se construit le présent, l'auteur a réussi le tour de force incroyable où s'analyse un relationnel apparemment mais faussement horizontal entre frères et sœur, avec sa verticalité frontale imitant l'inquiétante idée que nos enfants seront les juges immanents que nous fûmes avec nos propres parents.
C'est la vie ! Klapisch encore une fois m'a bluffé !
Le treizième opus a pris beaucoup des précédents : les flash-backs d' "Un air de famille", un côté globe-trotter de "L'auberge espagnole" et des ses suites, une dimension sociale intime à "Riens du tout", mais surtout, surtout, ce rythme exceptionnel inhérent à "Paris".
"Ce qui nous lie", c'est le miroir inversé de "Paris".
Dans le rythme urbain, nous avions l'image éclatée, kaléidoscopée de la vie parisienne et de ses affres et des doutes qu'elle colporte. Un monde absolument décentré mais dans un ensemble à la Cantor.
Ici, c'est l'inverse : on se recentre à Meursault. Le cœur de la famille est éclaté de par le monde, et pourtant la Terre est comme une mère dont on est sorti. Dans "Paris", le monde était dans la ville, et dans "Ce qui nous lie", Meursault c'est dans le monde ! Et le rythme est le même, en point comme en contrepoint.
Après ça, la bande annonce n'est plus la même.