dimanche 3 décembre 2017

Corps et âme



Lorsque la vacuité des corps ouvre un sabord afin de s'en remplir une ou deux âmes, on peut se laisser emporter par la vague.
Il arrive — assez peu souvent — que nous découvrions des merveilles du septième art issues de contrées aux traditions cinématographiques confidentielles. En l'occurrence, un Ours est venu de Berlin célébrer ce chef-d'œuvre magyar.
Indescriptible. Écrire une critique illustrative au sujet de ce film est une gageure, et s'il s'agissait de choisir une musique afin (si tant est qu'il soit aussi question de l'importance de cette dernière au sein de la mise en scène), eh bien je choisirais celle emblématique en provenance également de Berlin, durant laquelle un certain David Bowie nous chante ses « Heroes ».
Car c'est bien de deux « heroes » dont traite avec virtuosité « Corps et âme », imprégnés qu'ils sont de leurs différences à fleur de peau, de leurs profondeurs écorchées par l'abattoir inhumain du monde actuel.
Et pourtant, ils se trouvent ! C'est dans le rêve et sous des formes improbables — émanation poétique initiée dès le début — qu'ils se trouvent, animalité contrastée par le quotidien saignant d'une usine à viande. Encore faudra-t-il s'apprivoiser !
Tout est magnifique : une caméra qui pose des plans comme on regarde un tableau tantôt figuratif, tantôt abstrait, l'analyse et la finesse psychologiques des personnages, un jeu de miroirs trompeur et tout en faux-semblants, faux coupables et véritables innocents, sang, viande, hormones, amour, innocuité, bienveillance, Asperger, angoisse et sens de l'existence.
On passe un temps qui fuit le temps, qui fuit les interprétations rationnelles où sombre la psychanalyse appliquée par une plantureuse hongroise à la beauté carnée, pour s'envoler sur les ailes d'un désir éthéré, si difficile à croire et si fragile, en suspend, suspens et battement de papillon, qu'il s'en faut toujours de peu pour que le bien triomphe et que le mâle ait sa femelle (en passant par une scène de réparation de son propre corps absolument surréaliste).
Infirmes. Un mot lâché dès l'entame et qui résume à lui-seul un état dans lequel, après vision, nous stagnons nous aussi, comme eux, désireux devenir un jour « heroes », comme dans un standard de Bowie, comme dans cette œuvre absolument sans concessions, d'une beauté protéiforme.


samedi 2 décembre 2017

Maryline

Ça commencerait avec un flash-back, avec une remise du premier prix de bonne conduite à la petite fille au crane rasée de la suite, qu'on céderait à la facilité que fuit perpétuellement Guillaume Gallienne.
Ou comment la gentillesse et la fragilité vont être à ce point malmenées dans un monde où la brutalité n'est que le lot commun des rapports humains.
La brutalité d'une famille tuyau d'poêle, et la brutalité d'un premier casting, la brutalité terriblement outrageante et la violence inouïe d'un metteur en scène à la perversité cinglante (aux colères allemandes à la Klaus Kinski), dont l'attitude évoque immanquablement les débordements du cinéma d'une autre époque.
Où la brutalité s'insinue jusque dans les couloirs glauques des administrations, par la tyrannie des petits chefs harceleurs, où l'Art et le talent sont bafoués malgré l'échappatoire offert un instant par les esprits du vin, la brutalité d'une maquilleuse ayant compris que la meilleure défense est l'attaque, et la tétanie des oiseaux blessés dans la tourmente ainsi déployée.
Guillaume Gallienne est un auteur romantique à l'intelligence extra' de ne pas le montrer, sachant décrire à quel point l'alcool est la béquille irrésolue des âmes tourmentées.
Maryline illustre à merveille un cheminement chaotique où son démiurge a le génie de puiser les éléments de compréhension des mécanismes inhérents au fonctionnement des êtres hypersensibles. Et puis, comme Guillaume Gallienne est un romantique également bienveillant, son histoire appelle une advenue de cette bienveillance. Elle intégrera l'enveloppe humaine d'un réalisateur désabusé, puis celle de son actrice principale, extraordinairement interprétée par Vanessa Paradis.
La métempsycose est achevée : Gallienne a fini de transformer Vanessa pour en faire une Jeanne Desmarais/Moreau dont l'hommage alors monte au Paradis, tant dans l'allure ou la posture que dans la voix traînante, on est stupéfié !
Puis la bienveillance avance avec un auteur de théâtre allant nous accompagner avec Maryline un peu plus dans l'univers dont Guillaume a toutes les clefs, gardien joueur avec les codes et les trompe-l'œil, avant de rendre au final hommage à la forme absolue des feux que l'on met à ces planches au cœur d'une scène improvisée.

Maryline, avec la main poignante et délicate, incroyablement douée d'Adeline d'Hermy, nous entraîne en un rêve éveillé, dont la part de cauchemar odieuse équilibre une histoire aigre-douce où l'on constate avec émerveillement le génie créatif de Guillaume Gallienne.