mercredi 16 octobre 2024

L'amour ouf


Il y avait longtemps — depuis les Verneuil avec Bébel ou Dewaere et Blier ("Peur sur la ville", "Le corps de mon ennemi", "Mille milliards de dollars") — il y avait longtemps que je n'avais plus vu de film d'action français, matiné d'influence américaine à la "French connection" de Friedkin, et puissament porté vers l'aventure et le divertissement.

Vers l'amour aussi, puisque telle est la construction de ce film actant Gilles Lellouche en tant que réalisateur, affichant clairement ses influences italo-américaines en sa volonté de Cinéma.

Sergio Leone en premier, cette histoire étant scindée par l'incarcération fatale à l'amour, en deux parties — d'adolescence et d'âge adulte ("Il était une fois en Amérique"), et nos erreurs à méditer.

Mais aussi, d'ambiance et d'illustrations, Scorcese ("Taxi Driver", puisque dans le dialogue de Jackie gamine, il y a bien le fameux "c'est à moi qu'tu parles ?" — repris déjà par Kassowitz avec "La haine"), évidemment Coppola (les scènes de mariage et de mitraillage et de fric issues du "Parrain"), Cimino (les scènes ouvrières et les poursuites en voiture, et le mariage à nouveau — "Voyage au bout de l'enfer").

Enfin, la réussite absolue de Lellouche, est d'avoir su transposer cela dans le Nord de la France, où les dockers et la pègre existent aussi, comme à New-York ou dans le 93, où la pauvreté mène à la délinquence, aux magouilles, à la violence, à la rencontre aussi, parfois.

Gilles Lellouche a tout mis dans sa réalisation, tout ce qu'il aime et tout ce qui l'a porté dans sa vocation cinématographique, et je crois ne pas être un seul être à le ressentir ! Il a fait ce film en mettant tout de sa propre histoire aussi, la Bande Originale en étant le marqueur indélébile, agencée divinement dans des instants vidéos-clipés nourrissant le récit judicieusement (tant dans les sentiments que dans la violence).

Un peu comme un "Babylone" ouspillé de Damien Chazelle, "L'amour ouf" est le sujet de controverses un peu trop intellectuelles à mon sens, et c'est justement l'occasion d'aller le voir en évitant de se prendre la tête, en profitant de ces presque trois heures que l'on ne voit pas défiler, surpris qu'on est par des seconds rôles éblouissants (Raphaël Quenard — héros de "Yannick" —, Alain Chabat — père émouvant —, Jean-Pascal Zadi — l'ami touchant —, Benoît Poelvoorde — inquiétant —, Vincent Lacoste — impressionnant — même aussi la bande au petit Quinquin, pour ceux qui savent...)

À noter, les deux adolescents remarquables habitant la partie première, avec une intensité troublante.

On oubliait les premiers rôles ! Habituellement le Bon, François Civil est la Brute et le Truand cumulés. Je crois qu'il est l'un de nos grands acteurs à venir.

Au sujet d'Adèle ? Il ne m'est pas possible en vérité d'être objectif : elle est belle et fascinante, envoûtante, et son avant dernière-scène en face-à-face avec un Pio Marmaï infect, est le moment féministe ultime et moraliste (alors que durant tout le film elle vilipende La Fontaine), où selon moi tout prend sens.

vendredi 13 septembre 2024

Tatami

 


Un film immense, à la portée jamais atteinte en ce qui concerne une œuvre ayant le sport en décors.
Une tension permanente attrapant notre attention, dans la reconstitution remarquable d'une compétition de Judo, parfaitement crédible, et témoignant de l'intensité de ce sport de combat, l'intellect et le physique happés par une double trame entre les championnats du monde à Tbilissi, et les événements concomitants à Téhéran.
Le synopsis est d'une efficacité redoutable en sa simplicité : risquant de se voir confronter à sa potentielle adversaire israélienne en finale, on cherche à la faire abandonner dans dans cet enchaînement de combats qu'elle domine avec brio.
C'est ainsi que se noue l'intrigue : une entraîneure écrasée dans l'étau d'un harcèlement politique émanant de la Fédé d'Iran, téléguidée par un pouvoir odieusement misogyne et totalitaire ; une héroïne inflexible et révoltée, dont la famille à distance est menacée ; l'enjeu surpasse absolument le jeu, les barbouzes islamistes outrepassent honteusement tous les règlements, menacent, insultent, incarnent au plus haut point l'ignominie de ce régime allié de la russie de poutine (en leur vendant des drones et des missiles à portée longue, afin de tuer des femmes et des enfants d'Ukraine).
Un régime à vomir — et c'est ce que ressentent en décalage une héroïne et puis l'autre...
Un régime à fuir aussi pour les protagonistes iraniens menacés sur place.
Une ode à la Liberté que cette histoire de femmes, où l'on ne voit finalement que des femmes en action contre d'odieux potentats masculins.
Cette œuvre est aussi la réflexion la plus puissante à mon avis, qu'il m'ait été donné de voir au sujet de la notion de choix, d'engagement, que se soit par le sport ou par un autre moyen, bouffée d'air pur après la trêve olympique hypocrite et sans lendemains que nous venons de vivre.
Une réalisation sans faille, avec un emploi pertinent du Noir & Blanc, nous renvoyant aux films mythiques usant de cette pellicule au combat ("Plus dure sera la chute", "Raging Bull") et lui conférent le côté pathétique ou le sang n'a pas de couleur. Un duo d'actrices époustouflantes, convaincantes à l’extrême et touchantes, bouleversantes, passionnantes.
On ne ressort pas indemne d'un tel film !
On a envie d'en parler, de partager l'intensité des émotions ressenties, de dire aussi simplement : "venez voir ça ! C'est sublime."
Au Panthéon des chefs-d'œuvre abordant le milieu sportif, il outrepasse ainsi "Les chariots de feu", "Par l'épée", "Million dollars Baby", parce que comme eux, dépassant le sujet du sport, il parle en priorité des préoccupations de l'Homme qui vit, mais ici surtout de la Femme.

vendredi 3 février 2023

BABYLON

Un film absolument monumental ! Une ode au Cinéma, parlant de ses crises existentielles et des ses victimes à la fois directes et collatérales, un film haletant, mené tambour-battant par un réalisateur hyper-doué pour l'image et pour les sens cachés, clichés chocs et cachets chics, cachets cachés parfois.

Pas une seconde à jeter ! Deux jeunes interprètes éblouissants, Brad Pitt alcoolique émouvant, des seconds rôles époustouflants de qualité dans la quantité. Trois heures à sacrifier au rire, à l'angoisse, au Jazz, à la fête, à la défaite, à l'émotion.

Damien Chazelle est déjà devenu le maître absolu de ce 7ème Art encensé par ses soins. Son film est énorme : il peut choquer, perturber, déranger, mais nous convoque au festin d'une industrie maquillée par les talents naturels et suburbains des fleurs du pavé. Sa violence n'est jamais gratuite, elle est l'ingrédient nécessaire à la transmission des ressentis susnommés. Sa violence est le coup de poing dans l'estomac que nous recevons trois heures durant. Sa violence est l'expression brutale et spontanée de la nature humaine au milieu d'un univers illimité, qui pousse à la corruption dans tous les sens, du terme et du corps.

Une jolie rousse incontrôlable, un beau ténébreux introverti, le talent de Chazelle en récits d'amours inextricables est déjà bien connu...

Mais ici, la passion se magnifie par une latence incertaine ; elle emmène un spectateur avisé pourtant, vers un rivage inconnu, continent inexploré.

Lorsqu'on ressort, on cherche à mettre un peu d'ordre en ses pensées ; les clichés refluent, le KO s'atténue, les esprits se reprennent. La salle obscure est derrière, et néanmoins présente au fond du cerveau, ressurgira probablement durant longtemps.

J'ai toujours pensé qu'un film était comme un vin, qu'on devait le juger aux caudalies — ces secondes estimées d'arrières-goûts délicieux qu'il laisse au palais — dont nous jouissons. Le dernier crû Chazelle est corsé, mais grandissime.


dimanche 14 novembre 2021

Tralala

Miracle à Lourdes !

Un film étonnant, captivant, tellement différent.

Les frères Larrieu signent ici le plus beau des objets cinématograhiques impossibles à identifier.

Comédie musicale ? On dirait plutôt le tissage harmonieux de clips expérimentaux tous aussi fascinants, dans la trame impeccablement tendue d'un scénario référent au génie français du septième Art.

Un "Retour de Martin Guerre" actualisé ne peut nous échapper, tant dans ses tenants que ses aboutissants — Mélanie Thierry (déjà remarquée pour une apparition stupéfiante dans "Le dernier pour la route") y déclare en effet l'apparition d'un plaisir sexuel inattendu — dans le suspense également de savoir à la fin qui est Tralala.

Mathieu Amalric, exceptionnel, est ce clochard, "enfant du Paradis" que combat puis qu'accompagne un Denis Lavant (dans son élément plus que jamais), qui discute avec un ecclésiastique et se retrouve enrôlé dans la peau d'un fils éperdu de femmes et perdu depuis des années, poursuit cet ange apparue comme une vierge bleue qui vient de l'emmener à Lourdes.

Il y a là, dans l'extatique éblouissement provoqué par Galatéa Bellugi (la petite héroïne de "L'apparition" de Xavier Gianolli, qui garde a priori ce côté religiosité) quelque chose inhérent à l'aspect spectral, hallucinant d'Emmanuelle Seigner dans "La neuvième porte" de Polanski, ressemblance éclatante et parfaitement instrumentée.

Les chansons se succèdent alors, impeccablement structurées par les créations de Bertrand Belin, second rôle épatant de sobriété taiseuse et de présence écrasante, alliant les poésies de Jeanne Cherhal, Étienne Daho, Dominique A, Katerine évidemment !

Maïwenn et Josiane Balasko sont parfaites et contribuent à distiller le doute.

Un montage exceptionnel, une image absolument délicieuse et des chorégraphies délirantes auront tôt fait de faire de cet échec au box-office, un film-culte et qui risque au passage de rafler pas mal de statuettes.



vendredi 15 octobre 2021

CETTE MUSIQUE NE JOUE POUR PERSONNE

 Un extraordinaire OVNI d'humour absurde et de Poésie, qui la moque au départ afin de mieux la servir à la fin.

Benchetrit y va fort avec une Bande originale epousant le thème et le rythme, alliant Bashung à Voulzy, juste après "Les mots bleus"...

Distribution grandiose où Damiens joue le poète assez "viril", où le couple improbable Bouly Lanners Joey Starr renacle en grinçant délicieusement, Kervern assurant le spectacle avec une Vanessa Paradis dans un brillant contre-emploi, sous la direction d'un Bruno Podalydès hilarant, juste à côté d'un Ramzy Bédia touchant d'une absolue justesse, ainsi que Valéria Bruni-Tedeschi qui campe à la perfection la dépression toute incarnée. Sans parler de la courte intervention totalement surréaliste de Vincent Macaigne !

Une pure merveille aux rires et à la réflexion garantis, prouvant là qu'une fois encore, un métissage franco-belge en Cinéma porte un enfant d'une grande beauté.


mercredi 8 septembre 2021

Délicieux

 Un film admirable alliant la stimulation des papilles aux merveilleux paysages du Cantal, et porteur aussi d'une intrigue haletante et pleine de rebondissements.

C'est également une tranche de l'histoire (en plus de celles des gâteaux) que porte ici le réalisateur avec habileté, dans ce récit se passant aux balbutiements de la Révolution, sur une idée première et qui fera ses écoles à Paris, quand les nobles en fuite auront délaissé le personnel employé des cuisines : le restaurant.

Le Procope et d'autres, auront donc utilisé ce concept, en donnant finalement ses marques de noblesse à la démocratisation par le goût partagé, ce que décrit parfaitement le film.

Un Gregory Gadebois sombre et lumineux (mais l'a-t-on jamais vu seulement bon ?) joute avec une Isabelle Carré brillante, attachante et juste. Un Guillaume de Tonquédec acide à souhait renforce idéalement le caractère antipatique et pompeux d'un Benjamin Lavernhe assez doué pour ces rôles.

Il ne faut donc pas rater ce régal, autant pour les yeux que la bouche et l'esprit (des Lumières).


dimanche 22 novembre 2020

De Rimbaud et de Villon (texte de 2009)

 Certains documents peuvent sembler secondaires au sein de l'œuvre d'un auteur mythique. En Mai 1870, concomitamment à l'écriture d'un paquet de ses premiers chefs-d'œuvre (Sensation, Ophélie), le jeune Jean-Nicolas dit Arthur Rimbaud répond à la commande de son complice professeur de lettres, Georges Izambard, par la rédaction d'une « lettre de Charles D'Orléans à Louis XI pour la grâce de François Villon ».
A ces fins, le susnommé Izambard (à peine son aîné de dix ans), lui a prêté les œuvres complètes du malandrin poète...
Je regrette de n'avoir point trouvé ce texte disponible sur internet, mais vous invite à fouiner dans quelque bibliothèque ou à dépoussiérer certains rayonnages de la vôtre, afin de lire ou relire ce merveilleux petit devoir de classe.
Ecrit en vrai faux vieux françois, Rimbaud y fait montre d'une connaissance claire et nette, tant de la langue de Villon que de son histoire !
Il faut savoir (c.f. les biographies existantes de maistre Villon, dont je ne saurais mieux vous conseiller que celle écrite par Jean Teulé, Je, François Villon) que le dit sieur de Montcorbier, alias Villon, après un court stage délétère à la cour du « bon » roi René d'Angers, résida longuement chez le grand despote éclairé qu'était Charles d'Orléans, le seul avec Louis XI, à avoir perçu l'entendue de son génie, avant que de lui chouraver quelques de ses plus beaux bouquins enluminés (et oui ! C'était pas un tendre !) et de finir dans les geôles d'un évèque à Meung-sur-Loire. Déjà, après quelques mois de torture, on peut présumer que c'est Monsieur le onzième qui l'en sortit, avec pour bel argument que là où lui unissait la France, et donnait enfin suite à l'idée de nation que Jehanne, enfant, lui inspira, Villon unissait le français.
Ensuite, Villon finit une nouvelle fois engeôlé au Chatelet ! Pour une histoire ridicule... Mais là, c'était les fourches patibulaires de Montfaucon qui l'attendaient. Une fois de plus, Louis XI le gracia, ou plutôt, commuta sa peine en interdiction de séjour à Paris. C'est ainsi que comme par enchantement, disparut de l'histoire de France le personnage de François Villon, sans que nul ne put jamais savoir ce qu'il devint.
Je pense ne m'avancer que peu en affirmant l'impact qu'eut sur le jeune Arthur Rimbaud, cette épopée et les vers l'accompagnant. Preuve en est ce fameux devoir de classe...
Ce n'est pas un travail banal !
C'est un programme : Rimbaud y annonce ce qu'il veut et ce qu'il va être ! Il est inéluctablement perclus de la même nomomanie que son aîné, et plus j'y repense, plus je crois qu'après Baudelaire, il est allé puiser aux sources du maître les ingrédients de sa radieuse révolution du verbe.
Je ne peux ni n'ai envie de vous recopier ici l'intégralité de ce texte. Néanmoins, je me dois de faire écho à sa dernière et si longue et si belle phrase, si tant emplie de tous les sens qui vous y saurez trouver, et d'appétence à lire ce qui la précède :

« Sire, ce serait vraiment méfait de pendre ces gentils clercs : ces poètes-là, voyez-vous, ne sont pas d'ici-bas : laissez-les vivre leur vie étrange ; laissez-les avoir froid et faim, laissez-les courir, aimer et chanter : ils sont aussi riches que Jacques Cœur, tous ces fols enfants, car ils ont des rimes plein l'âme, des rimes qui rient et qui pleurent, qui nous font rire ou pleurer : Laissez-les vivre : Dieu bénit tous les miséricords, et le monde bénit les poètes. »

Arthur Rimbaud, Mai 1870



Ô Dieu, que j'aime cette phrase !