La première fois que j'ai vu
« L'auberge espagnole », j'ai détesté ce film.
Du coup, je ne suis pas allé voir
« Les poupées russes ».
L'année suivante, on m'a divorcé, et
l'année d'après, mes enfants sont partis sur Paris tandis que je
vivais toujours au bout de notre vieux monde : à la pointe du
Finistère.
Ce soir, première fois que je regarde
« Casse-tête chinois », je trouve ce film Kunderiste,
conférant à cette fameuse « insoutenable légèreté de
l'être ».
Je me dis alors qu'Apollinaire avait
raison, que sous le pont Mirabeau, la Seine (ou l'Oubangui) charrie
des kilomètres-cube de souvenirs à varier, de rancœurs à débattre
et d'affaires à classer.
Je ne puis par conséquent faire qu'une
anticritique de ce film, tant il colle aux basques de mes souliers
troués, et corse ma vision spécifiquement bretonne de ce qui est
bien plus universel qu'on le croit en le subissant. Mais là, je
parle comme un normand...
La première fois que j'ai vu
« L'auberge espagnole », j'ai détesté ce film,
probablement à cause des images qu'il me projetait, de mon malaise
en regard de ce que j'étais à l'époque, de l'intuition mienne des
histoires à suivre et du vent du boulet que je percevais, bref, j'ai
détesté ce film comme il est possible de haïr son image en un
miroir, de conférer à cet avatar la somme des torts que l'on se
fait inconsciemment peser sur le râble.
Puis le temps passa. J'ai pas mal
voyagé, œuvré, calculé, afin de voir mes enfants, de leur offrir
ce qui pouvait compenser comme se peut mon irréversible absence. Je
pense même être parvenu à me réinventer, afin d'être un père
acceptable malgré mes incommensurables tares.
Et donc, j'ai aimé « Casse-tête
chinois » pour la même raison. Je n'ai pas été en mesure de
regarder ce dernier film de Klapisch de façon objective : il
renvoie trop à ma propre image, un peu comme à la fête foraine,
déformant par endroits, pas par d'autres, ou alors différemment. Et
c'est avec la même posture débonnaire que j'ai fait bon cœur
contre mauvaise fortune, tenté de résoudre les emmêlements du
casse-tête que nous édifions inconsciemment.
Parfois, j'apprends à mon fils comment
démêler son fil de pêche ; il me semble être alors dans le
cadre d'une transmission bien plus importante que d'autres auxquelles
nous pensons plus couramment.
Xavier, lui – le héros de Klapisch –
est contraint de partir s'installer à New York. Chaque lieu définit
ses règles, chaque endroit est comme un jeu de l'oie dont il faut
retenir le numéro des cases, sinon on file en prison, sinon on doit
se munir d'avocats, sinon on est étranger, y compris chez soi.
Ce dernier film est adorable en raison
de son approche indulgente et optimiste : tout ce qui est triste
et lamentable peut devenir source de sagesse et d'apprentissage ;
les philosophes allemands des lumières viennent nous visiter avec un
humour opportun : Hegel nous déclare notamment : « un
néant n'est que le néant de ce dont il découle... »
Pendant ce temps-là, moi je me
reconnais dans le retour des amantes du passé, avec lesquelles on
recouche comme si les couches et recouches des ans n'avaient rien
changé des emplâtrés que nous sommes tous. La vie est
nécessairement compliquée puisque nous nous la compliquons.
La dernière fois que j'ai vu
« L'auberge espagnole », j'ai adoré ce film. Ensuite
j'ai regardé « Les poupées russes » que j'ai préféré
encore ! C'était la semaine passée, avant d'en constater
l'ultime opus. J'ai l'impression qu'un dieu taquin l'a posé entre
les mains de Klapisch pour moi tout seul, qu'il marque un épilogue à
ma géhenne, un peu comme le peuple juif à la recherche de la terre
promise qui n'est certes pas le « Grand Amour ».
Alors, évidemment, j'ai adoré
« Casse-tête chinois » pour les mêmes raisons que je ne
vous propose pas de partager. Seule la fin trop facile m'indispose,
mais après tout, je ne suis peut-être qu'un sale esprit négatif.
Je ressens une certaine fierté à me
retrouver dans l'image que propose l'auteur ; Xavier lui-même
déclare : « j'écris mon histoire mais c'est la vôtre ! »
Ma seule citation : « L'art
d'écrire est celui de se raconter en évitant de parler de soi. »
Les pères qui aiment seront
récompensés à la fin. J'ai foi dans nos destins.
Quant aux paroles de nos mères
perdues, dans lesquelles nous puisons notre part de féminité,
j'aime la violence avec laquelle Lenny Kravitz savait les rappeler.
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