jeudi 1 décembre 2016

Une vie

J'ai beaucoup aimé ce nouveau film de Stéphane Brizé.
C'est extraordinairement courageux de rompre avec le style narratif, avec le fil de la chronique alors qu'on aborde un classique de la littérature.
Une caméra vogue au bord de la Manche avec l'espace, avec le temps surtout, pareille à l'œil désobligeamment intrusif et génialement scoptophile alors porté par Maupassant sur les myriades de vies symptomatiques autour de lui, qui lui permirent ainsi la synthèse en une seule.
On accompagne une héroïne aux creux des houles et des hougues, aux chocs inévitables et crus des drames annoncés, sans que jamais le lyrisme et ce qu'il revêt de superflu, ne vienne troubler le dur évident constat d'empilement des faits.
Chacun des drames est tourné de façon froide et sous forme de tableaux, factuelle et lapidaire, et chacun succède à l'autre en une longue litanie qui s'égraine avec le sable d'une vie.
Les interprètes sont remarquables : Yolande Moreau n'est que parfaite et Daroussin plus que parfait, mais pour ma part, une étrange lumière émanant de Judith Chemla m'a guidé comme m'avait guidé celle de la belle Holly Hunter dans "La leçon de piano", taciturne et solaire, engoncée dans ce siècle aux beautés martyrisée par la mode et par les mœurs, à cette poésie merveilleuse inspiratrice et menant sa pensée sur le chemin de la vieillesse.
On n'aimera pas ce film si l'on ne parvient pas à saisir l'intention de l'auteur, on l'investira dans le cas contraire. Il faudra sortir de l'idée du roman, car le génie de Brizé, c'est de ne pas adapter le roman, mais de regarder comme à côté de Maupassant ce qui lui permit de l'écrire.


dimanche 17 janvier 2016

CREED

La boxe est un sport de mensonges sur fond d'absolue vérité.
En ce sens, elle est l'image de la vie, l'image sur un miroir déformé par les coups, le pays des merveilles qui s'obtient par force horreur, mais non fors l'honneur.
Ce film commence dans un orphelinat militarisé de l'Oncle Tom, où les comptes se règlent entre minots à coups de poing sans retenue, dans un orphelinat dont seul le hasard de la vie et la beauté d'âme de certains êtres peuvent vous extraire. Mais tout son déroulement repose sur les cicatrices qu'il en reste et qu'aucun amour – aussi tendrement pseudo-maternel qu'il fut – ne peut parvenir à masquer.
Il faut alors se battre contre des fantômes en prenant des vivants pour les habiter, et les abattre à leur tour afin d'essayer de vivre, autrement dit parvenir à dégager de tout cela un quelconque sens. Mais il est définitivement impossible d'être en quête de son identité sans une aide tierce et riche de sa propre histoire, un peu par procuration. C'est le fil absolument prodigieux de « CREED », totalement bluffant sur des points techniques, mais avant tout scénaristiquement un récit saisissant, parfaitement mis en scène, tant dans sa ponctuation musicale introduisant le portrait de chacun via l'utilisation du rap hard-core, du trip-hop savonneux ou de la vieille pop ringarde de Rocky Balboa,
que dans l'utilisation de prodigieux effets de sons et d'images vous plongeant avec effroi dans la violence d'un combat de boxe.
J'ai eu le privilège dans ma jeunesse, de discuter un round (trois minutes) de boxe anglaise contre un champion de France amateur. Je me suis retrouvé plongé là dans la même expérience, dans cette même vitesse, dans le même tournis, le même assourdissement au moment de la percussion des salves de l'adversaire. C'est la part d'absolue vérité de la boxe au cœur de laquelle ce chef-d'œuvre vous fait pénétrer, et qui renvoie les vieux combats simulés de la série des « Rocky » à du grand Guignol totalement suranné. Ce n'est absolument plus jubilatoire à ce point qu'on puisse être infiltré par la seringue de la caméra en pleine peau coupée, tuméfiée, du gladiateur moderne !
« CREED » porte sa part amoureuse, sa part sociale, sa part raciale et affective avec une détermination et une fulgurance absolument confondante.
Et Stallone, là-dedans ?
Il est l'improbable interprète époustouflant d'un drame où le combat revêt l'aspect d'un aigle bicéphale, le mentor d'un jeune homme perdu qu'il aide en tous les points sur les ruines de son propre désastre existentiel, et d'une justesse qui écrabouille la caricature facile que l'on fit trop souvent de lui et de ses personnages, et dont la profondeur trouve ici la parfaite justification dans la cruauté de la vie de tout un chacun, des combats que nous menons aussi.
« CREED » est un grand film construit à partir d'un scénario d'une intelligence et d'une sensibilité exceptionnelles, subjugué par la violence hyper-réaliste de la boxe anglaise et de la façon dont elle est ici mise en scène, augmenté par la conviction de ses principaux acteurs, le vieux Sylvester en tête.
Il nous présente l'univers de mensonges de la boxe professionnelle, simple reflet exagérément déformé de notre société, mais dont le champ de justice ordalique est un carré d'absolue vérité : le ring.