vendredi 25 janvier 2019

Edmond



JU-BI-LA-TOIRE !
J'allais, plus par curiosité que par intérêt, m'enquérir enfin de ce nouveau film assez français. Bien m'en pris, puisque j'en sortis banane au visage, avec une indissimulable satisfaction conforme au schéma cinématographique du bonheur animé condensé.
Paris, 1897, la belle époque et ses atours, un temps de mort poétique autour de la fée verte avec un auteur abreuvé d'infusion de verveine — à peu près le même goût mais sans les degrés post-caniculaires. Un Paris qui ressemble à s'y méprendre a celui de Scorcese dans « Hugo Cabret », d'un sépia Jeunesque aussi, le Paris qu'on aime ainsi : celui de la Tour Eiffel et de la Poésie, de l'absinthe et de l'absente en laquelle on puise une encre inépuisable et vive, ourlée des pleins et des déliés de l'écriture à la plume.
Oh les beaux acteurs ! Et les commandes impromptues. Lorsque l'Art effleure à ce point la faillite, il naît parfois la convergence extrême à laquelle on trouve accrochées les casseroles du succès.
Ceci s'appelle un conte de fée — moderne — et la façon dont il s'écrit. C'est magique. Importent peu les fables, importent peu les interprétations, c'est un conte au sein d'un conte, un abyme abyssal au cœur duquel on pond des œufs de basilic et des miroirs à la façon de l'eau d'un puits. Paris 1897 et les maisons de joie, le Moulin rouge accueillant Tchekov et quelque éternuement qui remue la moustache entretenue d'une bourgeoisie citadine en voie d'épuisement.
Cyrano naquit de cette matrice étrange au fond d'un crâne éclairé par une influence féminine.
Alexis Michalik — enfant prodige assumé du théâtre français — nous fait entrer dans son monde, entouré de ses acteurs. Il nous conduit (grimé sous les trait d'un autre auteur influent) sur le chemin d'une interrogation joyeuse au sujet de l'inspiration, de la muse et de l'amour, et de l'écriture avant tout, d'un poète à la limite un peu maudit, mais dont l'œuvre incontestée demeure un chef-d'œuvre incontestable.
Oser produire en alexandrins, comme un peu plus de deux siècles avant lui Racine et Molière, une pièce à jouer, dans la splendeur explosive et révélée de notre langue, est une nage à contre-courant dont l'exemple est une bombe à retardement.
Gourmet nous y dévore en premier rôle avide et bergeraquien. Paris se revêt des atours auxquels on sut Verlaine accorder quelques ver(re)s. On y croise aussi Sarah Bernhardt sous les traits pétulants de Clémentine Célarié (quel pied!), le mystérieux noir alias M. Honoré, le monde comme on l'aime, enfin...
Et Rostand le naïf, à contre-courant du genre à l'affiche au moment, Rostand le poète incompris craignant d'être aussi maudit, c'est le symbole incarné de la conviction dans l'art qu'on peut porter.
J'allais par hasard au cinéma, voir un film à ce point surprenant qu'il me rendit heureux puis plein d'espoir et de bonheur.

vendredi 18 janvier 2019

COLD WAR



Il y a d'abord l'image, une image absolument sublime, indélébile à la rétine et pelliculée par des mouvements de caméra magistraux, réminiscence aussi du grand cinéma polonais des jeunes Andrejz Wajda, Roman Polanski, Zulawski, dont Pawel Pawlikowski porte une évidente hérédité. Cette innocence un peu bucolique également, masque au décor abrupt et froid du marxisme-léninisme irascible en ses cités de plomb.
La grandeur d'une œuvre est souvent dans l'envie qu'elle transmet d'y rentrer, malgré la terreur inspirée, simplement ne serait-ce en tant que témoin que l'on se sent déjà, face à la beauté de ce qui transcende au moins pour quelques instants de bonheur, un univers dont Kafka sut anticiper l'obscure et lourde teneur.
"COLD WAR" en est la plus parfaite illustration, d'emblée touchante et portée par un couple d'acteurs fascinants : lui, flegmatique et beau, figé tel un Jeremy Irons d'au-delà le rideau de fer ; elle — à la beauté scarletto-johansonienne éclatante — un peu Betty d'un 37°2 beaucoup plus frisquet. L'un et l'autre ont l'art de nous porter entre eux tour à tour, à saute-mouton sur l'infranchissable obstacle issu du partage à Yalta, par-dessus les barbelés qu'ils se dressent parfois l'un pour l'autre, à l'aune angoissante émergeant de la possibilité du Grand Amour.
Ainsi, la musique en un filet de fleuve éconduit par la modernité croissante occidentale, oriente étrangement leurs pas, nos regards, au gré d'une oscillation de la Pologne à Paris, de la musique populaire au Classique et du Classique au Jazz, dans cette Europe écartelée dont nous gardons indubitablement la cicatrice suturée par des ponts sur les frontières.
On sort changé de la vision d'un film intense à ce point, sans trop savoir en quoi, mais avec la certitude inhérente à la réflexion qui se poursuit, d'un mouvement profond, de l'effet produit par un grand Cinéma d'Art.

mercredi 16 janvier 2019

"LETO"



Létal ou létaux, le blé, l'ivraie, l'ivresse ou les sons de « LETO » ?
C'était au temps que le mur fleurissait de ses grappes de munitions, que Nina Hagen était mon passeport vers Öst-Berlin, et que les russes Zoopark et Kino n'étaient qu'apparemment de pâles ersatz du punk occidental... À quatorze ans, je les écoutais pourtant, bien avant qu'ils ne se perdent au plus profond du labyrinthe harmonique intime en ma mémoire.
Une baguette invraisemblablement magique agitée par le chef Serebrennikov a fait passer Micha de l'autre côté du miroir, atteint sans tain depuis le Velvet et Lou Reed, en direction de merveilles au pays de Juliette et de poètes en lapins blancs sur fond noir.
On chambre noire une image ultra-murale imitant Wharol et sa Factory, dans Moscou couverte en zinc à la façon de Paris — « Paris, Moscou, New-york ou Berlin... » — la belle égérie qui ressemble à Nico (mêmes causes et mêmes effets?), le poète un peu fou que les slaves ont conservé — Tzara, Vian, Wharol ? — et que la France en intra-veineuse injecte avec ses mots, ses mots si proches et tant amoureux de la langue russe.
On aime à la folie, ça couture et ça déchire. Aucun amour absolu n'étant, la couture est de travers. En sachant ça, je me sens russe et décalé, cousu d'un travers absolu. Fraternité.
Serebrennikov est un cinéaste humaniste et fraternel. Il transpose idéalement cet horizon baudelairien sur la toile infinie de la jeunesse avide et carnivore. Il en résulte un chaos suturé parfaitement maîtrisé, des questions sur l'âme et sur la validité de nos désirs, un peu de déchets dans la cigarette et l'alcool, et l'espoir impermanent que ceux partis le sont pour notre bienvenue.
Kirill Serebrennikov est le chantre intrépide enfin d'un discours indépendant, d'une pensée libre et d'un point de vue libertaire à mes poumons nécessaire, ainsi qu'une énorme bouffée d'air.
Il est engeôlé par notre ami Poutine.