vendredi 13 décembre 2024

La plus précieuse des marchandises



Un merveilleux film d'animation, dont la beauté du graphisme illustre un récit puissant, sans concessions, qui confronte à la splendeur sylvestre un paroxysme d'horreur humaine.

Une œuvre éminemment marquante, émouvante et questionnante, à tous les niveaux : sentimental, intellectuel, existentiel, affectif ; une présence animale envoûtante au cœur aussi d'une nature insultée par la folie des hommes.

Accompagné des voix de célébrités (Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Grégory Gadebois, Denis Podalydès), on ne ressort pas inchangé de la projection d'un tel dessin animé pour adultes.

jeudi 12 décembre 2024

Saint-Ex



Un très beau film, et qui n'est pas un biopic car ici ce sont quelques jours importants de la vie de Saint-Ex (et non de Saint-Exupery) qui sont décrits, au fil d'une intrigue époustouflante et rapportée dans son roman "Terre des hommes".

On est donc porté par un Cinéma brillant comme un soleil au cœur de la Cordillère des Andes, et par un épatant trio d'acteurs auquel on confie des rôles inspirés, loin de la recherche effrénée d'une quelconque historicité.

Le parti-pris est plutôt celui de l'univers onirique où Saint-Ex évolue, des contrastes entre une lumière éblouissante, une nuit menaçante et les blancheurs inquiétantes et glaciales au sommet des montagnes ; aussi des rencontres étranges, et des carnets de notes de l'aviateur-poète, assez magnifiquement gribouillés, et dans lesquels l'auteur nous fait entrer.

Quelques jours au plus profond de cette intemporalité, que le réalisateur argentin — le style est bien perceptible — a l'art avisé de distiller, mêlant suspens et décors grandioses, amitiés puissantes, amours entétées, dans un concentré d'aventure au bout du Monde.

Qu'importe alors que Louis Garrel ait un physique aussi lointain de celui d'Antoine de Saint-Exupery ? Sa ressemblance avec le personnage de Corto Maltese en fait le candidat parfait pour incarner l'âme exaltée de l'écrivain volant.

jeudi 5 décembre 2024

La vallée des fous



Quand on croit aller voir une petite comédie française sympa', mais que l'on découvre une tragi-comédie d'une profondeur abyssale, où l'émotion l'emporte en un coup de vent sur un jardin peuplé d'histoires et de secrets familiaux.

"La vallée des fous", c'est un très beau film, absolument déconcertant, qui prend en décor évident le "Vendée Globe" et son jeu parallèle intitulé "Virtual regatta", mais dont la trame est théâtrale, et sert à tisser le récit complexe, intransigeant d'un humain perdu qui se retrouve à la dérive, en métaphore a son bateau trop souvent ivre, aux étapes imposées de la résurection possible, avec une série d'échecs et de rechutes et le doute impermanent qui maintient le suspens à tout moment.

Jean-Paul Rouve est un immense acteur, on le sait déjà, mais il déploie là son registre incroyablement taiseux qui sait déclencher les frissons, la réflexion, le rire aussi parfois... Pierre Richard et tous les seconds rôles aussi sont tirés vers le haut par sa magistrale incarnation, très investie visiblement.

Xavier Beauvois, le réalisateur — inoubliable avec un fameux "Des hommes et des dieux" — met en scène ici ce drame intimiste où les petits moyens (symbolisés par un voilier en cale sèche) ont l'horizon déployé des grandes aventures, en premier lieu parce que la plus grande est intérieure, en référence à celle inspirée de Bernard Moitessier.

mercredi 16 octobre 2024

L'amour ouf


Il y avait longtemps — depuis les Verneuil avec Bébel ou Dewaere et Blier ("Peur sur la ville", "Le corps de mon ennemi", "Mille milliards de dollars") — il y avait longtemps que je n'avais plus vu de film d'action français, matiné d'influence américaine à la "French connection" de Friedkin, et puissament porté vers l'aventure et le divertissement.

Vers l'amour aussi, puisque telle est la construction de ce film actant Gilles Lellouche en tant que réalisateur, affichant clairement ses influences italo-américaines en sa volonté de Cinéma.

Sergio Leone en premier, cette histoire étant scindée par l'incarcération fatale à l'amour, en deux parties — d'adolescence et d'âge adulte ("Il était une fois en Amérique"), et nos erreurs à méditer.

Mais aussi, d'ambiance et d'illustrations, Scorcese ("Taxi Driver", puisque dans le dialogue de Jackie gamine, il y a bien le fameux "c'est à moi qu'tu parles ?" — repris déjà par Kassowitz avec "La haine"), évidemment Coppola (les scènes de mariage et de mitraillage et de fric issues du "Parrain"), Cimino (les scènes ouvrières et les poursuites en voiture, et le mariage à nouveau — "Voyage au bout de l'enfer").

Enfin, la réussite absolue de Lellouche, est d'avoir su transposer cela dans le Nord de la France, où les dockers et la pègre existent aussi, comme à New-York ou dans le 93, où la pauvreté mène à la délinquence, aux magouilles, à la violence, à la rencontre aussi, parfois.

Gilles Lellouche a tout mis dans sa réalisation, tout ce qu'il aime et tout ce qui l'a porté dans sa vocation cinématographique, et je crois ne pas être un seul être à le ressentir ! Il a fait ce film en mettant tout de sa propre histoire aussi, la Bande Originale en étant le marqueur indélébile, agencée divinement dans des instants vidéos-clipés nourrissant le récit judicieusement (tant dans les sentiments que dans la violence).

Un peu comme un "Babylone" ouspillé de Damien Chazelle, "L'amour ouf" est le sujet de controverses un peu trop intellectuelles à mon sens, et c'est justement l'occasion d'aller le voir en évitant de se prendre la tête, en profitant de ces presque trois heures que l'on ne voit pas défiler, surpris qu'on est par des seconds rôles éblouissants (Raphaël Quenard — héros de "Yannick" —, Alain Chabat — père émouvant —, Jean-Pascal Zadi — l'ami touchant —, Benoît Poelvoorde — inquiétant —, Vincent Lacoste — impressionnant — même aussi la bande au petit Quinquin, pour ceux qui savent...)

À noter, les deux adolescents remarquables habitant la partie première, avec une intensité troublante.

On oubliait les premiers rôles ! Habituellement le Bon, François Civil est la Brute et le Truand cumulés. Je crois qu'il est l'un de nos grands acteurs à venir.

Au sujet d'Adèle ? Il ne m'est pas possible en vérité d'être objectif : elle est belle et fascinante, envoûtante, et son avant dernière-scène en face-à-face avec un Pio Marmaï infect, est le moment féministe ultime et moraliste (alors que durant tout le film elle vilipende La Fontaine), où selon moi tout prend sens.

vendredi 13 septembre 2024

Tatami

 


Un film immense, à la portée jamais atteinte en ce qui concerne une œuvre ayant le sport en décors.
Une tension permanente attrapant notre attention, dans la reconstitution remarquable d'une compétition de Judo, parfaitement crédible, et témoignant de l'intensité de ce sport de combat, l'intellect et le physique happés par une double trame entre les championnats du monde à Tbilissi, et les événements concomitants à Téhéran.
Le synopsis est d'une efficacité redoutable en sa simplicité : risquant de se voir confronter à sa potentielle adversaire israélienne en finale, on cherche à la faire abandonner dans dans cet enchaînement de combats qu'elle domine avec brio.
C'est ainsi que se noue l'intrigue : une entraîneure écrasée dans l'étau d'un harcèlement politique émanant de la Fédé d'Iran, téléguidée par un pouvoir odieusement misogyne et totalitaire ; une héroïne inflexible et révoltée, dont la famille à distance est menacée ; l'enjeu surpasse absolument le jeu, les barbouzes islamistes outrepassent honteusement tous les règlements, menacent, insultent, incarnent au plus haut point l'ignominie de ce régime allié de la russie de poutine (en leur vendant des drones et des missiles à portée longue, afin de tuer des femmes et des enfants d'Ukraine).
Un régime à vomir — et c'est ce que ressentent en décalage une héroïne et puis l'autre...
Un régime à fuir aussi pour les protagonistes iraniens menacés sur place.
Une ode à la Liberté que cette histoire de femmes, où l'on ne voit finalement que des femmes en action contre d'odieux potentats masculins.
Cette œuvre est aussi la réflexion la plus puissante à mon avis, qu'il m'ait été donné de voir au sujet de la notion de choix, d'engagement, que se soit par le sport ou par un autre moyen, bouffée d'air pur après la trêve olympique hypocrite et sans lendemains que nous venons de vivre.
Une réalisation sans faille, avec un emploi pertinent du Noir & Blanc, nous renvoyant aux films mythiques usant de cette pellicule au combat ("Plus dure sera la chute", "Raging Bull") et lui conférent le côté pathétique ou le sang n'a pas de couleur. Un duo d'actrices époustouflantes, convaincantes à l’extrême et touchantes, bouleversantes, passionnantes.
On ne ressort pas indemne d'un tel film !
On a envie d'en parler, de partager l'intensité des émotions ressenties, de dire aussi simplement : "venez voir ça ! C'est sublime."
Au Panthéon des chefs-d'œuvre abordant le milieu sportif, il outrepasse ainsi "Les chariots de feu", "Par l'épée", "Million dollars Baby", parce que comme eux, dépassant le sujet du sport, il parle en priorité des préoccupations de l'Homme qui vit, mais ici surtout de la Femme.

vendredi 3 février 2023

BABYLON

Un film absolument monumental ! Une ode au Cinéma, parlant de ses crises existentielles et des ses victimes à la fois directes et collatérales, un film haletant, mené tambour-battant par un réalisateur hyper-doué pour l'image et pour les sens cachés, clichés chocs et cachets chics, cachets cachés parfois.

Pas une seconde à jeter ! Deux jeunes interprètes éblouissants, Brad Pitt alcoolique émouvant, des seconds rôles époustouflants de qualité dans la quantité. Trois heures à sacrifier au rire, à l'angoisse, au Jazz, à la fête, à la défaite, à l'émotion.

Damien Chazelle est déjà devenu le maître absolu de ce 7ème Art encensé par ses soins. Son film est énorme : il peut choquer, perturber, déranger, mais nous convoque au festin d'une industrie maquillée par les talents naturels et suburbains des fleurs du pavé. Sa violence n'est jamais gratuite, elle est l'ingrédient nécessaire à la transmission des ressentis susnommés. Sa violence est le coup de poing dans l'estomac que nous recevons trois heures durant. Sa violence est l'expression brutale et spontanée de la nature humaine au milieu d'un univers illimité, qui pousse à la corruption dans tous les sens, du terme et du corps.

Une jolie rousse incontrôlable, un beau ténébreux introverti, le talent de Chazelle en récits d'amours inextricables est déjà bien connu...

Mais ici, la passion se magnifie par une latence incertaine ; elle emmène un spectateur avisé pourtant, vers un rivage inconnu, continent inexploré.

Lorsqu'on ressort, on cherche à mettre un peu d'ordre en ses pensées ; les clichés refluent, le KO s'atténue, les esprits se reprennent. La salle obscure est derrière, et néanmoins présente au fond du cerveau, ressurgira probablement durant longtemps.

J'ai toujours pensé qu'un film était comme un vin, qu'on devait le juger aux caudalies — ces secondes estimées d'arrières-goûts délicieux qu'il laisse au palais — dont nous jouissons. Le dernier crû Chazelle est corsé, mais grandissime.


dimanche 14 novembre 2021

Tralala

Miracle à Lourdes !

Un film étonnant, captivant, tellement différent.

Les frères Larrieu signent ici le plus beau des objets cinématograhiques impossibles à identifier.

Comédie musicale ? On dirait plutôt le tissage harmonieux de clips expérimentaux tous aussi fascinants, dans la trame impeccablement tendue d'un scénario référent au génie français du septième Art.

Un "Retour de Martin Guerre" actualisé ne peut nous échapper, tant dans ses tenants que ses aboutissants — Mélanie Thierry (déjà remarquée pour une apparition stupéfiante dans "Le dernier pour la route") y déclare en effet l'apparition d'un plaisir sexuel inattendu — dans le suspense également de savoir à la fin qui est Tralala.

Mathieu Amalric, exceptionnel, est ce clochard, "enfant du Paradis" que combat puis qu'accompagne un Denis Lavant (dans son élément plus que jamais), qui discute avec un ecclésiastique et se retrouve enrôlé dans la peau d'un fils éperdu de femmes et perdu depuis des années, poursuit cet ange apparue comme une vierge bleue qui vient de l'emmener à Lourdes.

Il y a là, dans l'extatique éblouissement provoqué par Galatéa Bellugi (la petite héroïne de "L'apparition" de Xavier Gianolli, qui garde a priori ce côté religiosité) quelque chose inhérent à l'aspect spectral, hallucinant d'Emmanuelle Seigner dans "La neuvième porte" de Polanski, ressemblance éclatante et parfaitement instrumentée.

Les chansons se succèdent alors, impeccablement structurées par les créations de Bertrand Belin, second rôle épatant de sobriété taiseuse et de présence écrasante, alliant les poésies de Jeanne Cherhal, Étienne Daho, Dominique A, Katerine évidemment !

Maïwenn et Josiane Balasko sont parfaites et contribuent à distiller le doute.

Un montage exceptionnel, une image absolument délicieuse et des chorégraphies délirantes auront tôt fait de faire de cet échec au box-office, un film-culte et qui risque au passage de rafler pas mal de statuettes.