vendredi 15 octobre 2021

CETTE MUSIQUE NE JOUE POUR PERSONNE

 Un extraordinaire OVNI d'humour absurde et de Poésie, qui la moque au départ afin de mieux la servir à la fin.

Benchetrit y va fort avec une Bande originale epousant le thème et le rythme, alliant Bashung à Voulzy, juste après "Les mots bleus"...

Distribution grandiose où Damiens joue le poète assez "viril", où le couple improbable Bouly Lanners Joey Starr renacle en grinçant délicieusement, Kervern assurant le spectacle avec une Vanessa Paradis dans un brillant contre-emploi, sous la direction d'un Bruno Podalydès hilarant, juste à côté d'un Ramzy Bédia touchant d'une absolue justesse, ainsi que Valéria Bruni-Tedeschi qui campe à la perfection la dépression toute incarnée. Sans parler de la courte intervention totalement surréaliste de Vincent Macaigne !

Une pure merveille aux rires et à la réflexion garantis, prouvant là qu'une fois encore, un métissage franco-belge en Cinéma porte un enfant d'une grande beauté.


mercredi 8 septembre 2021

Délicieux

 Un film admirable alliant la stimulation des papilles aux merveilleux paysages du Cantal, et porteur aussi d'une intrigue haletante et pleine de rebondissements.

C'est également une tranche de l'histoire (en plus de celles des gâteaux) que porte ici le réalisateur avec habileté, dans ce récit se passant aux balbutiements de la Révolution, sur une idée première et qui fera ses écoles à Paris, quand les nobles en fuite auront délaissé le personnel employé des cuisines : le restaurant.

Le Procope et d'autres, auront donc utilisé ce concept, en donnant finalement ses marques de noblesse à la démocratisation par le goût partagé, ce que décrit parfaitement le film.

Un Gregory Gadebois sombre et lumineux (mais l'a-t-on jamais vu seulement bon ?) joute avec une Isabelle Carré brillante, attachante et juste. Un Guillaume de Tonquédec acide à souhait renforce idéalement le caractère antipatique et pompeux d'un Benjamin Lavernhe assez doué pour ces rôles.

Il ne faut donc pas rater ce régal, autant pour les yeux que la bouche et l'esprit (des Lumières).


dimanche 22 novembre 2020

De Rimbaud et de Villon (texte de 2009)

 Certains documents peuvent sembler secondaires au sein de l'œuvre d'un auteur mythique. En Mai 1870, concomitamment à l'écriture d'un paquet de ses premiers chefs-d'œuvre (Sensation, Ophélie), le jeune Jean-Nicolas dit Arthur Rimbaud répond à la commande de son complice professeur de lettres, Georges Izambard, par la rédaction d'une « lettre de Charles D'Orléans à Louis XI pour la grâce de François Villon ».
A ces fins, le susnommé Izambard (à peine son aîné de dix ans), lui a prêté les œuvres complètes du malandrin poète...
Je regrette de n'avoir point trouvé ce texte disponible sur internet, mais vous invite à fouiner dans quelque bibliothèque ou à dépoussiérer certains rayonnages de la vôtre, afin de lire ou relire ce merveilleux petit devoir de classe.
Ecrit en vrai faux vieux françois, Rimbaud y fait montre d'une connaissance claire et nette, tant de la langue de Villon que de son histoire !
Il faut savoir (c.f. les biographies existantes de maistre Villon, dont je ne saurais mieux vous conseiller que celle écrite par Jean Teulé, Je, François Villon) que le dit sieur de Montcorbier, alias Villon, après un court stage délétère à la cour du « bon » roi René d'Angers, résida longuement chez le grand despote éclairé qu'était Charles d'Orléans, le seul avec Louis XI, à avoir perçu l'entendue de son génie, avant que de lui chouraver quelques de ses plus beaux bouquins enluminés (et oui ! C'était pas un tendre !) et de finir dans les geôles d'un évèque à Meung-sur-Loire. Déjà, après quelques mois de torture, on peut présumer que c'est Monsieur le onzième qui l'en sortit, avec pour bel argument que là où lui unissait la France, et donnait enfin suite à l'idée de nation que Jehanne, enfant, lui inspira, Villon unissait le français.
Ensuite, Villon finit une nouvelle fois engeôlé au Chatelet ! Pour une histoire ridicule... Mais là, c'était les fourches patibulaires de Montfaucon qui l'attendaient. Une fois de plus, Louis XI le gracia, ou plutôt, commuta sa peine en interdiction de séjour à Paris. C'est ainsi que comme par enchantement, disparut de l'histoire de France le personnage de François Villon, sans que nul ne put jamais savoir ce qu'il devint.
Je pense ne m'avancer que peu en affirmant l'impact qu'eut sur le jeune Arthur Rimbaud, cette épopée et les vers l'accompagnant. Preuve en est ce fameux devoir de classe...
Ce n'est pas un travail banal !
C'est un programme : Rimbaud y annonce ce qu'il veut et ce qu'il va être ! Il est inéluctablement perclus de la même nomomanie que son aîné, et plus j'y repense, plus je crois qu'après Baudelaire, il est allé puiser aux sources du maître les ingrédients de sa radieuse révolution du verbe.
Je ne peux ni n'ai envie de vous recopier ici l'intégralité de ce texte. Néanmoins, je me dois de faire écho à sa dernière et si longue et si belle phrase, si tant emplie de tous les sens qui vous y saurez trouver, et d'appétence à lire ce qui la précède :

« Sire, ce serait vraiment méfait de pendre ces gentils clercs : ces poètes-là, voyez-vous, ne sont pas d'ici-bas : laissez-les vivre leur vie étrange ; laissez-les avoir froid et faim, laissez-les courir, aimer et chanter : ils sont aussi riches que Jacques Cœur, tous ces fols enfants, car ils ont des rimes plein l'âme, des rimes qui rient et qui pleurent, qui nous font rire ou pleurer : Laissez-les vivre : Dieu bénit tous les miséricords, et le monde bénit les poètes. »

Arthur Rimbaud, Mai 1870



Ô Dieu, que j'aime cette phrase !

samedi 14 décembre 2019

We will not be lovers



Je crois que de toutes les chansons que j'aime, elle est ma préférée...
C'est le souvenir affreux de l'histoire avortée d'un Amour immense et cancérisé par la mort de ma mère, un Amour suicidé façon Villon dont je ne me suis jamais affectivement remis.
Le titre est d'une justesse absolue : "We will not be lovers"...
Il suinte à la façon d'une blessure ouverte avec mandoline et violon, sans couplet ni refrain, juste une phrase musicale inlassable et lancinante, un peu comme une rage de dent contre la vie.
C'est con comme on aime à la folie ce qui nous ronge et nous détruit, ce qui nous ampute et nous réduit, ce qui consomme en fait le carburant de nos soit-disant identités.
C'est un tourbillon de vie mal assumée qu'ont produit ici les Waterboys, garçons d'chiotte infiniment inspirés, tsunami sanitaire en sous-sol d'un pub à l'éclairage incertain, dans le caveau que venaient peupler les cheveux blonds-vénitiens d'une femme en mon miroir épuisé du temps des baisers sincères.

lundi 28 octobre 2019

Tchekhov, a laugh only




"La caricature est l'hommage que la médiocrité paie au génie."
Oscar Wilde


Il est rare en l'évoquant de songer au rire ou à la bonne humeur, et pourtant l'âme slave aidant, si parfaitement brossée par Tchekhov, incline aux excès caricaturaux comme aux élans passionnels un peu plus souvent visités.
"Tchekhov à la folie" détient le mérite en cela d'offrir un échantillon lumineux de cet humour corrosif, et qu'on retrouve aussi bien au-delà des verstes ouraliennes, au cœur universel et partagé de nos sociétés mercantiles.
Aussi faut-il, afin de mener un projet burlesque à ce point dynamique et saisissant, se prévaloir autant d'une mise en scène alléchée que d'un trio d'interprètes aux performances exubérantes idéalement dosées. C'est en cela que les deux acteurs (en particulier le truculent Jean-Paul Farré) sont au diapason du Russe, et qu'Émeline Bayart a la subtilité délurée de la comédie délirante où la farce est la source irrépressible effusant du rire à son omniprésence éclatante.
On dirait qu'elle crève l'écran qui n'existe pas mais que pose un comédien banal, et souffle entre les mots de l'Auteur — en blonde à la slavitude hautement crédible — un grand plein de son état d'esprit qu'illustrent ses postures et ses mimiques irrésistibles.
Entre une "Demande en mariage" assez situationnelle et l'autre "Ours" un peu plus littéraire et caustique, un peu moins accessible et pourtant brillantissime, on déguste une représentation tantôt guignolesque et tantôt délicate, où la palette humoristique alimente à satiété nos besoins de satire et la Poésie qu'elle sous-tend.

vendredi 25 janvier 2019

Edmond



JU-BI-LA-TOIRE !
J'allais, plus par curiosité que par intérêt, m'enquérir enfin de ce nouveau film assez français. Bien m'en pris, puisque j'en sortis banane au visage, avec une indissimulable satisfaction conforme au schéma cinématographique du bonheur animé condensé.
Paris, 1897, la belle époque et ses atours, un temps de mort poétique autour de la fée verte avec un auteur abreuvé d'infusion de verveine — à peu près le même goût mais sans les degrés post-caniculaires. Un Paris qui ressemble à s'y méprendre a celui de Scorcese dans « Hugo Cabret », d'un sépia Jeunesque aussi, le Paris qu'on aime ainsi : celui de la Tour Eiffel et de la Poésie, de l'absinthe et de l'absente en laquelle on puise une encre inépuisable et vive, ourlée des pleins et des déliés de l'écriture à la plume.
Oh les beaux acteurs ! Et les commandes impromptues. Lorsque l'Art effleure à ce point la faillite, il naît parfois la convergence extrême à laquelle on trouve accrochées les casseroles du succès.
Ceci s'appelle un conte de fée — moderne — et la façon dont il s'écrit. C'est magique. Importent peu les fables, importent peu les interprétations, c'est un conte au sein d'un conte, un abyme abyssal au cœur duquel on pond des œufs de basilic et des miroirs à la façon de l'eau d'un puits. Paris 1897 et les maisons de joie, le Moulin rouge accueillant Tchekov et quelque éternuement qui remue la moustache entretenue d'une bourgeoisie citadine en voie d'épuisement.
Cyrano naquit de cette matrice étrange au fond d'un crâne éclairé par une influence féminine.
Alexis Michalik — enfant prodige assumé du théâtre français — nous fait entrer dans son monde, entouré de ses acteurs. Il nous conduit (grimé sous les trait d'un autre auteur influent) sur le chemin d'une interrogation joyeuse au sujet de l'inspiration, de la muse et de l'amour, et de l'écriture avant tout, d'un poète à la limite un peu maudit, mais dont l'œuvre incontestée demeure un chef-d'œuvre incontestable.
Oser produire en alexandrins, comme un peu plus de deux siècles avant lui Racine et Molière, une pièce à jouer, dans la splendeur explosive et révélée de notre langue, est une nage à contre-courant dont l'exemple est une bombe à retardement.
Gourmet nous y dévore en premier rôle avide et bergeraquien. Paris se revêt des atours auxquels on sut Verlaine accorder quelques ver(re)s. On y croise aussi Sarah Bernhardt sous les traits pétulants de Clémentine Célarié (quel pied!), le mystérieux noir alias M. Honoré, le monde comme on l'aime, enfin...
Et Rostand le naïf, à contre-courant du genre à l'affiche au moment, Rostand le poète incompris craignant d'être aussi maudit, c'est le symbole incarné de la conviction dans l'art qu'on peut porter.
J'allais par hasard au cinéma, voir un film à ce point surprenant qu'il me rendit heureux puis plein d'espoir et de bonheur.

vendredi 18 janvier 2019

COLD WAR



Il y a d'abord l'image, une image absolument sublime, indélébile à la rétine et pelliculée par des mouvements de caméra magistraux, réminiscence aussi du grand cinéma polonais des jeunes Andrejz Wajda, Roman Polanski, Zulawski, dont Pawel Pawlikowski porte une évidente hérédité. Cette innocence un peu bucolique également, masque au décor abrupt et froid du marxisme-léninisme irascible en ses cités de plomb.
La grandeur d'une œuvre est souvent dans l'envie qu'elle transmet d'y rentrer, malgré la terreur inspirée, simplement ne serait-ce en tant que témoin que l'on se sent déjà, face à la beauté de ce qui transcende au moins pour quelques instants de bonheur, un univers dont Kafka sut anticiper l'obscure et lourde teneur.
"COLD WAR" en est la plus parfaite illustration, d'emblée touchante et portée par un couple d'acteurs fascinants : lui, flegmatique et beau, figé tel un Jeremy Irons d'au-delà le rideau de fer ; elle — à la beauté scarletto-johansonienne éclatante — un peu Betty d'un 37°2 beaucoup plus frisquet. L'un et l'autre ont l'art de nous porter entre eux tour à tour, à saute-mouton sur l'infranchissable obstacle issu du partage à Yalta, par-dessus les barbelés qu'ils se dressent parfois l'un pour l'autre, à l'aune angoissante émergeant de la possibilité du Grand Amour.
Ainsi, la musique en un filet de fleuve éconduit par la modernité croissante occidentale, oriente étrangement leurs pas, nos regards, au gré d'une oscillation de la Pologne à Paris, de la musique populaire au Classique et du Classique au Jazz, dans cette Europe écartelée dont nous gardons indubitablement la cicatrice suturée par des ponts sur les frontières.
On sort changé de la vision d'un film intense à ce point, sans trop savoir en quoi, mais avec la certitude inhérente à la réflexion qui se poursuit, d'un mouvement profond, de l'effet produit par un grand Cinéma d'Art.